There are really just two types of people, those who say "I can't" and those who say "I can". La voix grave du commentateur résonne encore dans mes oreilles alors que je regarde à travers l'écran les quelques milliers de triathlètes s'élançant dans l'ironman d'Hawaii. Peu à peu, je perds le fil de la course, car une pensée récurrente revient m'obséder. Dans quelle catégorie est-ce que j'appartiens ? La dureté de cette épreuve fait peur rien qu'à en juger la fierté de ses finishers, arborant les couleurs de l'insigne ironman avec plus de satisfaction aujourd'hui que les vétérans de guerres montraient leurs médailles il y a quelques décennies. Il est vrai que finir un marathon est quelque chose de grand. En finir un après 180km et 3,8km de nage est quelque chose d'immense. Mais l'idée a déjà germé dans ma tête et il est trop tard pour reculer. Je découvre sur le net les méthodes d'entrainement pour l'épreuve reine du triathlon, et je comprends toute l'ampleur de la tâche à accomplir. Pourtant, un soir de décembre 2011, mon nom apparait sur la liste des participants de l'ironman de Nice, dans six mois. Je me lance alors tête baissée dans mon objectif, je roule tout l'hiver, pluie, vent ou neige, parfois gants de ski et papier aluminium dans les chaussures, je m'injecte du volume d'entrainement à en faire vomir un boeuf, et je ne pense plus qu'à ça nuit et jour. Quand je mange, quand je m'entraine, et quand je rêve, pendant six mois. En mars, je m'impose une sortie longue chaque week end, au risque de contre-performer sur les autres compétitions, et ce jusqu'à la mi-juin, où je m'inflige pour la première fois une vraie période de repos. Je débarque en avion à Marseille le 21 juin, et en voiture avec mes parents à Nice le 23 juin. Depuis une semaine la pression me donne du mal à m'endormir le soir. Mes parents font office d'équipe d'assistance d'athlète en cette journée passée à déposer des affaires dans les différents stands. Jamais je ne me serais préparé autant pour une course, pour une seule journée, et en ce sens, le 24 juin 2012 serait la journée la plus importante de ma vie. Celle qui séparerait mon existence en deux. L'avant et l'après. Lorsque je voulais devenir, et lorsque je suis devenu un ironman.
Le réveil sonne à 5h pile. Non, en fait il n'en a pas le temps, car je le désactive à 4h50. J'ai dormi quelques heures par-ci et par-là, et je ne sais pas si ce matin je suis pressé de commencer, ou si je redoute le départ. Je ne sais pas non plus si j'ai hâte de finir cette journée où envie d'en profiter à fond. Dans ce sentiment partagé, j'embarque mes affaires et prends la direction de la plage. Je regonfle mes pneus, enfile ma combinaison, et fait quelques brasses. Les galets et pierres de la plage font souffrir les pieds et il est très difficile d'aller ou de sortir de l'eau. Le temps semble s'écouler à toute vitesse car déjà la quarantaine de pros vient de prendre le départ. Une poignée de minutes plus tard, à 6h30, un son de corne fait vibrer l'air frais du matin. La seconde suivante, les bruits s'étouffent, le temps s'arrête et les 2600 bonhommes noirs à bonnet bleu sautent avec moi dans les eaux calmes qui deviennent une machine à laver, sans plus sentir les galets douloureux tout à l'heure sous les pieds.
Pendant une dizaine de minutes, il est impossible de prendre un rythme. Tout le monde distribue des baffes, se rentre dedans. Puis le peloton de nageurs s'étire. Des organisateurs en canoë se chargent de diriger le troupeau car il est compliqué de se repérer sur ce circuit constitué de deux boucles, 2,4km et 1,4km. Au bout de 20 minutes, je sens que je prends un bon rythme, trop bon même, et je préfère diminuer l'intensité pour pouvoir continuer de nager sans problèmes jusqu'au bout. A la fin de cette première boucle, il faut sortir de l'eau, non sans mal, passer sur un tapis qui prendra le temps, et replonger à l'eau. Cette sortie est dite "à l'australienne". Sachant qu'il ne reste qu'un peu plus d'un kilomètre à nager, je choisis d'accélérer. Je sens des irritations venir au cou et aux bras, mais je regarde parfois ma montre sous l'eau, et le temps qu'elle affiche m'encourage à continuer toujours plus vite. Et effectivement, je sors de l'eau en 1h03'30'', 8ème de ma catégorie, 348ème au total. Je suis fou de joie de mesurer mes progrès en natation depuis un an et j'ai hâte d'aller en découdre avec le parcours vélo.
CHAPITRE 2 : LE FEU
Lorsque le triathlon est né, certains puristes se sont amusés a y retrouver les quatre éléments principaux. L'eau se retrouve dans la nage, l'air dans le vélo, considérant que ce dernier était un sport porté, avec pour seul contact de l'athlète son vélo et l'air, et ayant même une particulière affinité avec cet élément du fait de la constante recherche d'aérodynamisme, et l'épreuve se termine par une discipline se déroulant sur la terre ferme. Aussi, afin de parfaire à la liste d'Aristote, d'autres ont prétendu que les transitions du triathlon seraient le feu : véritable discipline, travaillée à l'entraînement, où règnent maîtrise et vitesse d'exécution.
Effectivement, en sortant de l'eau rapidement comme si il y avait le feu au lac, je suis le flux de nageurs se dirigeant vers le parc en vélo. Tout en me dépêchant comme si je courrai sur des braises, j'enlève ma combinaison, puis finis de l'arracher après avoir retiré mon sac de vélo. 5 minutes s'écouleront dans cette transition pendant laquelle je me transforme en cycliste, et pourtant à cet instant j'en mettrais ma main au feu qu'elle s'est déroulée en un éclair. Je cours vers le départ du vélo, grimpe sur mon destrier, les deux élastiques tenant mes chaussures cassent comme prévu, je les enfile. Je suis effectivement en feu pour la suite des évènements et file à 40km/h sur la promenade des anglais. Comme le vent.
CHAPITRE 3 : L'AIR
Les premiers 20 kilomètres du parcours vélo sont très plats. Avec mes jambes exceptionnellement reposées depuis plus d'une semaine, il est très facile de rouler à quasiment 40km/h sur cette portion-là. Puis la route continue en faux plat montant ou descendant en contournant des montagnes, montrant un aperçu de ce qui nous attend. Soudainement, au kilomètre 30, un virage serré en angle droit laisse découvrir une belle côte où le pourcentage maximal est aux alentours des 15%. Le parcours commence à se valloner, et au kilomètre 50, commence l'interminable montée du col de l'Ecre. Le public est venu en masse encourager les athlètes le long de ce col, mais cela n'enlève rien à sa difficulté hélas : 20km de montée environ qui nous mènera à plus de 1100m d'altitude. Je cherche du regard les kilomètres restants inscrits sur la route, et même si je suis sur le début du vélo, je prends un sérieux coup au moral et de fatigue, d'autant plus que je vois ma vitesse moyenne chuter. La chaleur commence à se faire sentir. A chaque ravitaillement, tous les 20km, j'attrape des bouteilles à verser sur la tête, et des gourdes. Parfois, à force de consommer des aliments sucrés, l'estomac sature et ne peux plus rien assimiler. Pour prévenir cela, j'ai mis dans mon sac de ravitaillement, porté au sommet du col de l'Ecre, deux sandwiches salés (pâté et fromage). Lorsque j'arrive enfin à ce terrible sommet, je mets mes deux sandwiches sous mon haut et je repars.
C'est un véritable bonheur de pouvoir enfin repartir à bonne allure. Les côtes se succèdent encore et toujours, mais n'ont plus rien à voir avec le col de l'Ecre. Je trouve parfois le temps long, mais attends patiemment le kilomètre 140, où se dessinera une longue redescente vers Nice. Je sens toutefois les premières crampes arriver dans les cuisses, ce qui n'augure rien de bon pour le marathon. Je double un concurrent de ma catégorie, un autre me double. Je ne cherche pas à faire la course avec eux, je suis bien trop concentré sur ma course. Comme d'habitude, je double énormément de vélos de contre la montre en montée, et tous me reprennent en descente. J'en ai doublé des tonnes dans les montées et m'attends à me faire dépasser en masse dans la descente. Et lorsqu'elle arrive enfin, ma prédiction ne ment pas. Les time trials s'enchaînent et se succèdent. Je ne prends pas de risque et fait une descente prudente, ce n'est pas ma spécialité. C'est un délice de bouger à peine les jambes sur 20km de descente. Puis, nous arrivons quasiment au niveau de la mer, et faisons les 20km de plat du début en sens inverse, mais avec un bon vent de face cette fois-ci. Je me cale dans un rythme bien confortable, en essayant de faire tourner les jambes au maximum et en essayant de penser au marathon qui s'en vient. Il m'était inconcevable de courir un marathon une heure plus tôt, ressentant encore la fatigue des montées, mais il faut croire que j'ai retrouvé de l'énergie, car j'ai hâte d'y être. Je me surprends à suivre sans mal les vélos de contre la montre, mais ce qui me met en joie, c'est de ne pas avoir eu de soucis mécaniques sur ces 180km, ma hantise. J'ai mangé mes sandwiches il y a quelques heures, ce qui m'a rempli le ventre et fait le plus grand bien. En arrivant sur la promenade des anglais, on peut apercevoir les premiers pros en train de courir. Mais la grande surprise, c'est de découvrir mon temps vélo : 5h31'. La descente a vraiment fait du bien, en tout sur le vélo j'ai rattrapé plus d'une centaine de concurrents, et suis remonté à la 234ème place. J'ai le 6ème temps de ma catégorie, ce qui me fait rentrer tout juste dans le top 5 des males 18-24. J'espère ne pas trop avoir puisé dans mes réserves, mais pour l'instant tout se passe extrêmement bien. Je fais une rapide transition, et commence mon marathon avec un temps de 6h45' pour le moment.
CHAPITRE 4 : LA TERRE
Les jambes vont très bien sur ces premiers kilomètres, et je ressens juste une fatigue physique, mais musculairement, je suis encore très bien. Je n'ai aucune idée de mon rythme de course car je sais que mes sensations sont faussées par la fatigue du vélo. Le parcours consiste en un aller-retour sur la promenade des anglais de 10,5km à effectuer quatre fois. C'est à la fin du premier aller de 5,25km que je me rends compte que je suis sur un rythme de 3h au marathon. Même si je me sens bien, c'est clair que je vais casser à ce rythme-là. Mais je ne sais pas si c'est le manque de lucidité ou la prétention qui m'a fait garder ce rythme, en tout cas, tout est bien allé jusqu'au kilomètre 10, puis au kilomètre 15, c'est devenu une torture. Des douleurs terribles dans les cuisses me donnaient l'impression qu'à chaque pas des couteaux se plantaient dans mes muscles. C'est dur de sentir cela et de se dire qu'il reste 27km à courir. Avec le recul, je me demande encore comment j'ai pu trouver la force d'endurer cela. L'IronMan révèle bien des choses sur ses capacités physiques et psychiques. Car je n'ai pas marché. Je me suis fait violence car marcher aurait été synonyme de défaite. Et les 27 kilomètres qui restaient sont passés très lentement. Je me suis alimenté à chaque ravitaillement, j'ai bu, je suis passé sous chacune des douches d'eau froide de ces ravitaillements, mais je n'ai pas pu empêcher ce calvaire d'avoir lieu. Parfois, le moral revenait et je passais à un ravitaillement sans m'arrêter et attrapais de l'eau au passage, parfois, je comptais les mètres jusqu'au prochain pour m'offrir 20 secondes de pause. Sur chaque aller-retour, l'aller est le plus terrible, et le retour vers la zone d'arrivée ensevelie sous la foule de spectateur est plus rapide, car je sais que les encouragements me donneront des ailes sur quelques kilomètres. Parfois, je fais passer le temps en calculant sur quelle base je vais finir mon marathon. 3h10'. Puis 3h20', 3h30', je sens que je perds du rythme mais je ne peux rien y faire, c'est déjà très dur, trop dur de s'imposer de courir, je n'ai qu'une envie, c'est d'arriver sur cette ligne, et je me demande sans arrêt comment mon corps peut encaisser cela. J'admire les pros aussi, hommes comme femmes, qui me dépassent. Van Lierde, Chabaud, et les autres me doublent sur des rythmes diaboliques. Je ne suis pas déçu par la difficulté annoncée et tant attendue qui se dresse devant moi, je suis en train de vivre le mythe, la légende, l'IronMan, et je mobilise toute mon énergie pour répondre présent à cet instant que j'attends depuis de longs mois. Ce sont les sacrifices des derniers mois qui font saisir toute l'importance du moment présent, et oblige à aller chercher, coûte que coûte, la molécule de glycogène cachée derrière la fibre musculaire qui va faire fonctionner le moteur une seconde de plus. Molécule après molécule, seconde après seconde, je me donne les moyens de franchir le gouffre. Je fais un deuxième aller-retour, puis un troisième. Le quatrième et dernier aller-retour est finalement le moins terrible de tous, car je sais qu'à la fin, je pourrais me diriger vers cette ligne d'arrivée sur laquelle je lorgne à chaque fin de boucle.
Ce sera finalement sur un temps de 3h49' que je bouclerais cet interminable marathon. Dans les cinq derniers kilomètres, le moral va mieux. Petit à petit la foule se fait plus nombreuse en approchant la ligne. Il y a beaucoup de monde qui marche autours de moi, et je suis fier de finir en courant. Dans les deux derniers kilomètres, la ligne d'arrivée me semble si proche que j'ai l'impression que je peux la toucher, que je vais la voir apparaitre soudainement devant moi. Je suis complètement épuisé mentalement et physiquement. J'ai la sensation d'être extrêmement fragile, mais aussi d'être fort, plus fort qu'avant après cette épreuve que j'ai traverséeatta. Je me répète dans ma tête que je vais devenir un IronMan, je me demande encore comment j'ai pu passer au travers des obstacles de la journée d'aujourd'hui. Puis je pénètre dans la grande allée où partout on peut lire le sigle IronMan. Cette fois, je ne prends pas à gauche, mais bien à droite dans cette allée. C'est mon tour. Ce moment, je l'attends depuis 6 mois, un an, et je l'attends encore plus intensément depuis les dernières heures. Jamais je n'ai travaillé aussi dur pour arriver à cet instant précis. Et puis la ligne d'arrivée apparait, à une bonne centaine de mètres. Alors je me rappelle un tas de souvenirs. En hiver, lorsque je mettais du journal dans mes chaussures pour aller braver plusieurs heures les températures négatives, seul, en me disant qu'il fallait souffrir pour être un IronMan. Lorsqu'après 100km avec des amis, tout le monde rentrait chez soi, sauf moi qui repartais pour quelques dizaines de kilomètres. Et puis me viennent à l'esprit les nombreuses fois où je me suis imaginé franchissant cette ligne d'arrivée. A chaque fois que j'ai couru, à chaque fois que j'ai pédalé, à chaque fois que j'ai nagé, je me suis imaginé ce moment, il a été mon moteur pendant des mois. Je rêvais cette émotion que j'allais ressentir. Je la ressentais déjà. Et à cet instant précis, elle me gagne et m'envahit lorsque je lève les bras sous la ligne d'arrivée, mais reste caché derrière mes lunettes de soleil.
Mieux que devenir adulte, grand, vieux ou jeune, je suis devenu un IronMan. J'ai terminé 244ème, 4ème de catégorie à 3 secondes du troisième et 4 minutes du second et donc de la qualification aux championnats du monde à Hawaii. Mais comment ressentir une déception lorsqu'on vient de finir son premier IronMan en 10h34' ? Je n'arrive même plus à marcher lorsque mes parents, les meilleurs cheerleaders du monde, viennent à ma rencontre. Je n'oublierai jamais cette journée, celle où j'ai refermé un véritable chapitre de ma vie, un chapitre qui aurait pu s'intituler How to belong to those who say "I can".
IRONMAN FRANCE NICE - 3,8KM+180KM+42,2KM
10h34'35''
Swim : 1h03'30'' (1'40''/100m, 348ème après Swim)
Transition 1 : 5'08''
Bike : 5h31'56'' (32,537km/h, 234ème après swim+T1+Bike)
Transition 2 : 4'14''
Run : 3h49'47'' (11,019km/h, 5'27''/km, 244ème classement final)
244ème sur 2600 partants
4ème men 18/24 ans.
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